Julius Evola s’inscrit, comme rené Guénon (auteur du "Roi du Monde") et Pierre Ponsoyes (auteur de "l’Islam et le Graal") dans la mouvance dite "traditionnelle".
Pour ces chercheurs, il existe un enseignement universel, inchangé depuis l’aube des temps, à la source de tous les mystères et de toute la puissance spirituelle. Cet enseignement est caché en un endroit secret de la terre. Celui qui le trouve et qui sait s’en montrer digne devient un initié.
Chacun d’eux à une vision bien particulière de ce que confère l’initiation et se perd en conjectures diverses, mais tous sont une mine de légendes oubliées et de symbolique cachées.
p. 21 : l’origine des mythes
Les figures du mythe et de la légende ne seraient, pense-t-on, que les sublimations abstraites de figures historiques, qui ont fini par prendre la place de ces dernières et par valoir en soi et pour soi d’une manière mythologique et fantastique. Or, c’est exactement le contraire qui est vrai, à savoir qu’il existe des réalités d’un ordre supérieur, métaphysique, diversement suggérées par le symbole ou par le mythe. Il peut arriver que, dans l’histoire, des structures ou des personnalités déterminées incarnent, dans une certaine mesure, ces réalités.
p.23 : Sur la forme particulière du mythe du Graal
Mais la forme particulière dans laquelle ces choses ont été exprimées dans le cycle du Graal, correspond au moment où une réalité, pour ainsi dire supra-historique, fit irruption dans l’histoire, en associant de la façon la plus étroite les symboles du " mystère " dont nous venons de parler à la sensation confuse, mais vive, que la réalisation effective de ce mystère s’imposait pour résoudre la crise spirituelle et temporelle de toute une époque
p. 62 : la signature d’Evola :
"L’effort suprême de l’occident pour ce reconstruire en tant que civilisation spirituellement virile et traditionnellement impériale. "
On retrouve ici une notion fondamentale de la mouvance traditionnelle : le courant des mystères initiatiques a déserté l’occident pour l’orient. [1]
Autre trait caractéristique, plus spécifique à Evola : il y a identité entre la puissance matérielle et la puissance spirituelle. Evola (comme de très nombreux avec lui) démontrent par là qu’il n’ont pas conscientisé le 6ème rayon de l’attouchement gnostique sur le monde : la conscience des deux lignes de développement, verticale et horizontale. Il y a une réalité profonde qui justifie les propos d’Evola : les initiés sont les maîtres du monde, mais ils n’emploient pas cette maîtrise pour le développement de la ligne horizontale. Sur ce plan là, il sont invisibles.
Dans son introduction au livre "La Gnose Chinoise" [2] Jan van Rijckenborgh traduit ainsi cet état de fait :
"ces forces étaient celles des citoyens du monde, au sens le plus noble, qui aimaient réellement l’humanité entière et qui, de nos jours encore, se manifestent, agissent et opèrent partout où, dans le monde, ils en voient la possibilité. On les suit à la trace, du nord au sud et de l’est à l’ouest. L’histoire du monde est leur histoire et l’on y découvre les relations entre les divers événements et développements dont ils furent les auteurs. Cependant, de nos jours, comme jadis, ils se tiennent à l’arrière-plan du secret. Il y a entre eux et la masse un voile hermétique et les investigations les plus audacieuses de la science présomptueuse en vue de pénétrer jusqu’à la source de ce secret sont toutes restées vaines jusqu’à présent."
p. 63-65 : Différents éléments de légende concernant le Prêtre Jean
où l’on retrouve notamment la question non posée, qui entraîne la perte du mandat : "L’empereur était un sage en paroles, mais non dans les faits, parce qu’il n’avait pas demandé quelles étaient les vertus de ces pierres".
p. 76 : attaque d’Evola contre le Christianisme
"Dante subit une limitation du fait de son adhésion au christianisme. Quand il accuse l’église, il l’accuse à cause de sa corruption. Il ne l’accuse pas en partant du principe que, même si elle n’avait pas cessé de représenter, d’une façon pure et non corrompue, l’enseignement originel de Christ, l’Eglise eût néanmoins constitué un obstacle, le christianisme en général se réduisant, dans son essence, à une spiritualité de caractère lunaire, tout au plus ascético-contemplatif, incapable de servi de point de repère suprême à une reconstruction traditionnelle intégrale ;" [3]
p. 79 : Les sources du Graal
"On a fait observer à juste titre que, du point de vue historique, les textes du Graal font penser à une sorte de courant souterrain qui affleure à un moment donné, mais soudain se retire et se rend à nouveau invisible, presque comme s’il avait perçu un obstacle ou un danger précis"
Note : Pour Evola, le texte le plus ancien est celui de robert de Boron. La chronologie qui prévaut actuellement parmi les universitaires est celle données dans l’article "une nébuleuse de textes".
p. 90 : note de Jean Marx
"Il demeure impossible d’expliquer comment le calice eucharistique ou la sainte écuelle puisse être portée par une jeune fille, même vierge. Jamais les femmes n’ont joué un rôle dans la litturgie chrétienne"
On notera la portée très limitée du "christianisme" de jean Marx. On notera également qu’un trait caractéristique des fraternités gnostiques chrétiennes (gnostiques et cathares par exemple) est la parité
p. 111 : Aventures de Gauvain
"Gauvain réussit et fait d’Orgeluse son épouse, au lieu de finir comme Amfortas. Il est également significatif, du point de vue symbolique, que Gauvain atteigne le royaume d’Orgeluse au moment où il poursuit celui qui a " blessé " un chevalier trouvé par lui dans les bras d’une femme : c’est-à-dire que la même voie est parcourue à nouveau, la même cause est affrontée, mais l’entreprise réussit."
p. 118 : le troisième œil
"Ainsi que nous l’avons dit, le Graal, en tant que pierre tombée du front de Lucifer, rappelle d’une façon nette et significative la pierre frontale - urnâ - qui tient souvent lieu dans le symbolisme indo-aryen et surtout dans le bouddhisme, de troisième oeil ou oeil de Çiva. C’est un oeil auquel on attribue soit la vision transcendante (dans le bouddhisme c’est le bodhi, l’illumination spirituelle), soit un pouvoir fulgurant."
p. 121 : la nature fondamentale du Graal
"Le Graal relie d’une façon ou d’une autre à la reconquête de l’état primordial représenté par le parradis terrestre"
p. 138 : le château du Graal
Cobernic, le château du Graal, pourrait être en fait le Graal lui-même, car Cobernic signifierait en chaldéïque "le très saint récipient". Voir à ce sujet l’article sur le château du Graal.
Wolfram parle ailleurs du château en ces termes :
"Dans le château se trouvent de telles splendeurs qu’il n’en existe pas d’égales sur terre. Mais celui qui s’adonne à sa recherche ne le trouve malheureusement jamais : néanmoins beaucoup s’adonnent à cette recherche. Mais pour le voir il faut y arriver sans le savoir. Le lieu où il se trouve est désert, sauvage, mortel : c’est le Mont sa1vatsche dans la Terre de Salvatsche [...] La voie qui mène à lui est pleine de combats. Il n’est pas d’usage de chevaucher aussi près du Montsalvatsche sans devoir affronter un combat périlleux ou sans aller à la rencontre de cette expiation, à laquelle le monde donne le nom de mort "
Voilà qui n’est pas sans rappeler le temple du portail dans les noces Alchymiques de Christian Rose-Croix, où ceux qui se présentent sans avoir été invités sont sévèrement punis.
p. 152 : le baptême du Graal
"Dans Wolfram, le Graal lui-même est invisible pour les non-baptisés - mais la description de l’eau baptismale (" l’eau fait prospérer tous les êtres auxquels nous donnons le nom de créatures. C’est grâce à cette eau que nos yeux peuvent voir. L’eau lave les âmes et les rend si resplendissantes, que même les anges n’ont pas une plus grande splendeur "), suffit déjà pour se convaincre qu’il s’agit moins du baptême chrétien que d’une véritable initiation, l’eau ayant ici plus ou moins le même sens que l’" Eau divine " ou " Eau philosophale " dans l’hermétisme.
p. 155 : le pont de l’épée
Evola interprète ainsi ce fameux passage du chevalier à la charrette, prototype selon nous du conte du Graal. "A cet égard, l’image qui se trouve dans un manuscrit : cheminer sur le fil d’une épée, est fort intéressante. Lancelot atteint le château de son aventure en passant sur le pont constitué par le fil d’une épée. C’est un thème connu par plus d’une tradition, en particulier la tradition iranienne et irano-islamique, qui s’applique soit aux expériences du post-mortem, de l’au-delà, soit à celles de la voie initiatique : le chemin qui mène la sagesse fut déjà comparé par la Katha-upanishad à une marche sur le fil d’un rasoir."
p. 163 : le symbolisme du cheval
"Si le chevalier représente le principe spirituel de la personnalité engagée dans les différentes épreuves, le cheval ne peut être que ce qui "porte" un tel principe, c’est à dire la force vitale plus ou moins maîtrisée par lui".
Voire aussi le commentaire d’une enluminure du Béatus de géronne : enluminure du beatus (2) : la monture.
p. 166 - 167 : la destruction du moi
Evola associe les aventure de Gauvain au château de la merveille à une phase particulière de l’initiation : la mort du moi.
p.173-174 : l’épée du Graal
"Obtenir l’épée ou la ressouder signifie se montrer virtuellement qualifié pour être admis à la vision du Graal [4], pour assumer la puissance de la "pierre de lumière" ou pierre angulaire, donc pour faire ressusciter le "roi". Une première épreuve peut échouer, l’épée peut se briser, et il faut alors la reconstituer à la "fontaine", parcourir un nouveau cycle d’aventures [...] Le héros auquel l’épée a été confiée une fois, éprouve désormais une inéluctable nostalgie. Parsifal dit : "Que proche ou lointaine soit l’heure où il me sera donné de revoir le Graal, jusqu’alors je ne connaîtrai plus de joie. C’est au Graal que vont toutes mes pensées. Rien ne me séparera de lui tant que je vivrai."
p. 180 : La question
"Il n’y a personne qui, en suivant les aventures des héros du Graal jusqu’à la fameuse question n’éprouve la sensation nette, incontestable, que quelque chose, tout à coup, empêche l’auteur de parler et qu’une réponse banale est donnée afin de taire la vraie réponse : car il ne s’agit pas de savoir ce que sont les objets, selon la petite histoire christianisée ou celle des antiques légendes celtiques ou nordiques. Il s’agit de sentir la tragédie du roi blessé et paralysé, et, une fois parvenu à cette réalisation intérieure, dont la vision du Graal est le symbole, de prendre l’initiative de l’action absolue qui restaure."
[1] vraisemblablement imputable à l’incapacité des fondateurs de cette mouvance à se relier au courant des mystères chrétien, ainsi qu’à une interprétation littérale des nombreuses légendes rapportant la fin de la manifestation matérielle d’une fraternité : la colombe qui s’élève de Montségur en flamme pour partir vers l’orient en 1244, la légende rapportée par R. Guénon voulant qu’à la fin du XVIIème siècle, les rose-croix se soient retirés en orient. Comme nous l’avons esquissé dans l’article sur Prêtre jean et dans celui sur Steiner, il s’agit ici d’un orient symbolique : le royaume de la lumière originelle. Ces légendes traduisent le fait que la fraternité universelle agit par le biais d’impulsions, qui se retirent à un moment donné et réapparaissent plus tard sous une autre forme.
[2] ed. RozeKruis Pers, Haarlem - 1992, distribué en France par les éditions du septénaire
[3] C’est un point de vue qui oppose Evola à d’autres traditionalistes tels que rené Guénon ou Pierre Ponsoyes qui resteront très attachés non seulement au christianisme mais aussi au catholicisme
[4] Rappelons qu’il s’agit de l’interprétation d’un traditionaliste, qui pense donc que l’essence de l’initiation réside dans la possession d’un savoir secret qui donne le pouvoir spirituel et temporel. Nous reviendrons dans un autre article sur cette épée du Graal