Ce qui rend le roman du Graal de Chrétien de Troyes si marquant, c’est qu’il s’agit d’un roman de l’échec : Perceval échoue à résoudre le mystère du Graal. L’aspect inachevé du roman renforce ce sentiment d’échec, car le lecteur non plus n’a finalement pas l’explication du cortège du Graal.
Ainsi, on peut dire que ce qui touche le lecteur, c’est d’être mis en face de sa propre réalité : il y a un mystère à comprendre dans l’existence, des questions fondamentales à poser pour briser la malédiction de la roue de la vie et de la mort, mais (jusqu’ici) nous avons échoué...
Sous cette lumière, l’introduction du roman prend un tour très différent :
Certes, Chrétien vente les mérites de Philippe de Flandre, mais ne pourrait-on pas prendre ses flagorneries comme de l’ironie ? Car bien sûr, nul ne peut surpasser Alexandre.
Le livre que le comte de Flandre fourni à Chrétien, c’est celui de sa vie. Quel est le récit qui en découle ? Celui de l’échec à percer le mystère fondamental.
On pourrait lire : Regardez le comte de Flandre, image du chevalier qui fait tout pour être parfait, voilà le bilan de sa vie :
Il a fait mourir sa mère : son aspiration spirituelle,
Il a vu les mystères du Graal : les bons hommes cathares,
Mais il a échoué misérablement à se poser les bonnes questions : Philippe de Flandre sera un des premiers à brûler des Cathares sur ses terres.