Au fure et à mesure de l’évolution des romans de la table ronde, la figure du roi Arthur évolue [1]. Sous la plume de Chrétien de Troyes, et tout particulièrement dans le conte du Graal, le roi Arthur est souvent représenté comme un personnage mélancolique : "Seul le Roi Arthur, assis au haut bout d’une table, restait pensif et muet" (Perceval v911).
Ainsi le roi apparaît-il fréquemment comme un personnage un peut désuet, se lamentant sur la perte de ses chevaliers ou craignant leur mort, mais ne passant pas souvent à l’action.
Cette figure du Roi Arthur, assis sur son trône, perdu dans ses pensées a marquée les consciences ( on la retrouve notamment dans le film EXCALIBUR de Boorman ). Un tableau célèbre éclaire, du point de vue initiatique, cette figure de la mélancolie : la gravure d’Albrecht Dürer "Melancolia"
Ici, le roi mélancolique est entouré de tous les symboles de la réalisation spirituelle :
A ses pieds, les outils du charpentier (Joseph, le constructeur),
Le Globe, symbole du Microsome
Le chien efflanqué endormi : la victoire sur la personnalité animale
A sa ceinture, les clefs de "celui qui ouvre et personne ne fermera, qui ferme et personne n’ouvrira"
le compas du Franc-masson,
Les ailes d’ange
La meule du seigneur, qui broie lentement mais finement,
L’angelot, Cupidon, la force de l’amour que l’on retrouve dans les noces alchimiques de Christian Rose-Croix,
l’échelle de Jacob - le processus d’initiation qui relie la terre et le ciel
la pierre angulaire - jesus Christ [2]
au fond : le creuset alchimique
la comète : la grande force cosmique qui vient purifier le ciel aural
l’arc de la promesse
sur la tour : le carré de Jupiter [3]
Au dessus du carré, la cloche qui doit sonner l’HORA EST
Le sablier qui rappelle l’enjeu : la tâche doit être accomplie en une vie.
...
Entourée de tous ces symboles, la mélancolie prend une signification très particulière, qui n’est pas du tout cet état de morosité ou de tristesse auquel nous associons habituellement ce mot. Il s’agit ici de l’état de celui qui, parfaitement préparé, veille jusqu’au moment de l’accomplissement.
On retrouve bien également cette interprétation intérieure de la chevalerie Arthurienne : le roi attends, vigilent, tandis que les processus s’accomplissent en lui, que les chevaliers accomplissent leur quête ou comme le dit Jacob Boëhme, que l’ouvrier oeuvre dans le noir.
La présence du carré magique de Jupiter permet également de donner un sens particulier à cette gravure. En effet, après les deux initiations fondamentales (le soleil et la lune), l’initiation de mercure (penser), de vénus (sentir) puis de mars (vouloir), le processus d’intervertissement des personnalités est déjà très avancé et une partie importante de l’homme céleste peut se relier à la personnalité. La mission de l’initié de Jupiter est, à l’instar de Caïn, d’ériger à l’aide de ses outils la ville d’Énoch, la citadelle de l’initiation. Et on retrouve bien au travers des symboles de cette gravures, tout un ensemble de règles de construction qui permettent d’ériger un champ initiatique.
Là encore, la figure du Roi Arthur ressurgit, car comme nous l’avons vu dans les articles précédents, la communauté de la table ronde représente la communauté initiatique.
[1] Joseph J. Duggan – The romances of Chretien de Troyes – Yale university press 2001 note ce changement radical chez Chrétien "The radical departure from all previous tradition does, however, pose a proble : Arthur’s world is interresting precisely because, as depicted by Geoffroy, Wace and Welsh tradition, he was an energic and powerful leader"
[2] on constate que les faces principales de cette pierre sont des pentagrammes. Même si la pierre n’est pas un dodécaèdre, nous avons là une indication très concrète sur l’organisation pratique des cercles initiatiques
[3] Lors d’un passage à Bologne, l’artiste a probablement rencontré Lucas Pacioli, un franciscain théologien auteur de plusieurs livres sur les mathématiques. En 1500, Pacioli avait publié un petit traité des symboles des planètes où apparaissait une version du carré de Jupiter dont la disposition est la même que celle que Dürer représente, quatorze ans après, dans « Melencolia I ». Dürer a peut-être tout simplement recopié la grille, mais il est plus probable que des carrés magiques remarquables aient étés associés depuis longtemps à chaque phase/planète/métal de l’initiation