Dans son livre sur le Graal et le neuvième siècle, l’anthroposophe W.J. Stein oppose les versions de Chrétien de Troyes et de Wolfram von Eschenbach autour de la notion de Microcosme :
« Nous possédons deux versions du conte du Graal : celle de Chrétien de Troyes et celle de Wolfram von Eschenbarch. Leurs versions sont différentes car leurs points de vue sont différents » dit-il.
« Chrétien de Troyes tire son savoir du comte Philippe d’Alsace, dont le père Dietrich était dépositaire d’une relique du saint sang. Le sang du Christ est ce qui inspire Chrétien de Troyes [1] et dans son conte, il a représenté l’aspect microcosmique du processus. C’est pour cette raison que Rudolf Steiner disait que l’arrivée au château du Graal, la pénétration dans les mystères du corps humain qui sont révélés à l’âme qui fait l’expérience du microcosme ne sont décrit nulle part de façon aussi magnifique que dans le poème de Chrétien de Troyes.
La version de Wolfram est assez différente. En effet, Wolfram ne tire pas son savoir d’une relique du saint sang mais via Kyot, de Flegetanis, en possession de la sagesse des étoiles. Le livre dont Wolfram s’inspire n’est pas un livre terrestre, mais le livre des étoiles. Il est peut-être significatif que Wolfram mentionne explicitement qu’il ne sache pas lire. Que sa légende du Graal fut transmise de manière orale ou écrite, sa source profonde est l’écriture des étoiles.
Ainsi, lorsque le poète décrit ce que les habitants du château du Graal endurent, il le décrit d’un point de vue macrocosmique. Il décrit cela en relation directe avec les constellations. Mais ce mystère reste caché jusqu’à la seconde visite de Perceval au château du Graal. »
Et Stein de nous décrire les relations entre la quête du Graal, les saisons, le retour du Printemps et le mouvement des planètes. Pourtant, quiconque possède des rudiments d’alchimie sait bien que lorsque les textes parlent des planètes, il n’est pas fait référence à des faits astronomiques, mais à des transformations intérieures.
Car, comme nous l’avons évoqué dans l’article sur le château du Graal l’association Microcosme = corps humain est totalement fausse et entraîne, pour ceux qui tentent de suivre l’injonction des manifestes de la Rose-Croix : "L’homme doit comprendre pourquoi il est appelé microcosme" les plus grandes confusions.
Qu’est-ce donc qu’un microcosme ? Sous ce terme, petit univers, on désigne la manifestation de l’home divin originel. Mais qu’en est-il en ce qui nous concerne ?
Un microcosme est un champ magnétique complexe de forme sphérique, d’environ 18 mètres de diamètre [2]. Lorsque nous examinons cette sphère à une certaine distance, notre attention est attirée tout d’abord par ce qu’on appelle l’être aural. Cette couche extérieure est de composition septuple et nous y trouvons un système magnétique, c’est à dire un ensemble cohérent de points magnétiques. L’être aural est également en possession d’un noyau atomique qui forme, avec le système de points magnétiques, une unité plus ou moins consciente. C’est cette conscience que nous désignons sous le terme de soi-aural ou âme aurale et que, dans l’article "la blessure parmi les hanches", nous avons associé au roi pêcheur.
La sphère du microcosme laisse dans sa partie intérieure un vide que nous pouvons désigner comme le champ de manifestation. Au coeur même de ce champ se trouve un second noyau atomique, la Rose de la tradition rosicrucienne, la princesse Blanchefleur, l’âme latente inconnue. Ce principe du coeur n’entretient actuellement aucun rapport avec l’âme aurale. Des lignes de forces partent bien de l’être aural vers l’intérieur, le champ de manifestation est bien rempli de fortes vibrations continuelles, mais la rose reste sans réaction, elle dort [3]. Par conséquent, nous voyons qu’il n’est question de vie effective que dans le soi-aural.
Il faut toutefois comprendre ce que l’on entend par ’vie’ du soi aural, car il s’agit d’un processus bien étrange et nous ne connaissons pas ce genre de vie dans nos forme d’existence. La vie du soi-aural n’est ni minérale, ni végétale, ni animale et encore moins supra-humaine. L’état qui se rapproche le plus de la conscience du soi-aural est l’état de conscience d’un élémental. C’est une conscience qui est le résultat de la collaboration de forces magnétiques et qui est claire ou terne, forte ou faible, bonne ou mauvaise, en accord avec les processus qui, soit de l’extérieur, soit de l’intérieur, influencent la sphère. C’est une conscience sans réactions psychologique profonde, personnelle, donc parfaitement neutre, automatique. Puisqu’il s’agit d’une conscience automatique, il est clair que si le microcosme veut vivre au sens supérieur du mot, il doit posséder un être âme qui le guide. Or pareil être âme ne se trouve pas dans le microcosme que nous venons de vous décrire.
Dès lors, le sens de la quête, pour nous qui avons étés littéralement greffés dans ce microcosme, apparaît clairement : "comprendre pourquoi l’homme est appelé microcosme", guérir le roi pêcheur et redonner vie à la terre gaste, à ce microcosme que l’on ne peut pas qualifier de vivant et qui pourtant n’est pas mort.
Si la greffe prend, on ne peut pas dire que l’organe devient un homme (et donc de même on ne peut pas dire que nous devenons des créateurs, des intelligences créatrices), mais il devient une partie d’un tout plus vaste dont il permet la vie. Si la greffe ne prend pas - si l’être humain n’accomplit pas sa tâche - l’organe reste un bout de viande et il meurt. On essaye alors de le remplacer par un autre.
[1] Ces propos n’engagent que Stein, et ne sont soutenus par quasiment personne
[2] Ce n’est donc pas l’aura
[3] Et ceci n’est pas sans rappeler le conte bien connu de "La belle au bois dormant". Curieusement, les frères Grimm, dans leur introduction à leur recueil de contes, commencent tout comme Chrétien de Troyes par la parabole du semeur