Au XII° siècle, le sage perse Shihâboddîn Yahyâ Sohravardî (1154-1191) relia l’enseignement de Zoroastre et les traditions de l’ancien Iran avec la sagesse hermétique et le néo-platonisme grec. Il puisa à ces sources pour actualiser son message, car ces deux courants de sagesse étaient très connus et appréciés en son temps. Dans l’un de ses récits il fait revivre l’image du Graal, qui diffuse la profonde vérité de l’enseignement spirituel libérateur.
Dans la Perse de Sohravardi existaient de nombreux symboles se référant au Pays de lumière de l’Esprit divin. Un riche héritage provenait du temps de Zoroastre, mais l’idée du Royaume de Lumière largement diffusée par Mani exerçait aussi une grande influence. Mani fut considéré et traité par l’Islam comme hérétique, cependant des fragments de son enseignement furent conservés dans des textes plus tardifs de la mystique et du gnosticisme perses. Dans ses hymnes et ses psaumes, Mani décrit le Pays de la Lumière de Dieu, auquel doit aspirer l’homme.
En le contemplant nous y voyons l’univers.
Il nous montre qu’il existe deux ordres :
l’ordre de la Lumière et l’ordre des ténèbres.
L’ordre de la lumière pénètre l’ordre des ténèbres.
Depuis le commencement l’ordre des ténèbres est séparé de la lumière...
Au XII°siècle, Sohravardî puisa à cette source et il institua l’Ishrâq, Le Courant de l’Illumination, appelé aussi Le Rayonnement de l’Aurore. Il a laissé une oeuvre considérable. En partie en arabe, en partie en persan, il rédigea des considérations théologiques mais aussi des récits allégoriques et hermétiques. Il explique en différents endroits à quelles traditions spirituelles il se sent relié et insiste toujours sur la primauté de l’expérience concrète par rapport à la connaissances intellectuelle :
" En ce qui concerne les amis sur le chemin, ils perçoivent dans leurs âmes des lumières qui les mettent dans un ravissement extraordinaire parce qu’elles ne se trouvent pas dans la vie terrestre. Pour le débutant, c’est une lumière fugace comme l’éclair, pour le plus avancé une lumière uniforme et pour l’homme supérieur une lumière céleste obscure. En ce qui concerne la lumière obscure qui mène à la petite mort, le dernier qui l’a réellement connue chez les Grecs fut le sage Platon ainsi que le Grand Esprit dont le nom fut conservé au long de l’histoire : Hermès. "
Sohravardî n’a consacré que quelques lignes à la coupe, ou Graal. Il part du principe que ses lecteurs connaissent bien l’histoire du roi mythique Kay Khosrou.
"La coupe, le miroir de l’univers, appartenait à Kay Khosrou. Il pouvait y lire tout ce qu’il voulait, y contempler les choses cachées et connaître les choses manifestées. On dit que la coupe se trouvait dans un étui attaché par dix liens. Quand Kay Khosrou voulut voir un jour les choses cachées, il défit les liens. Quand tous furent défaits la coupe fut invisible. Quand l’étui, le lieu de sa fonction, fut rattaché, la coupe fut de nouveau visible. "
D’après Sohravadî, le Graal descend dans la nature de l’homme pour l’en délivrer. L’immortel descend dans le mortel. La nature terrestre est l’enveloppe, l’étui où se trouve le Graal. A l’intérieur de cette enveloppe, l’âme nouvelle doit s’éveiller pour recevoir l’Esprit. Kay Khosrou possédait déjà cette liaison, en principe. Demeurant dans son corps, le Graal était visible, c’est-à-dire agissait dans la nature terrestre. Dès qu’il défit les dix liens et se tourna vers les choses invisibles, le Graal ne fut plus visible. Car s’élever dans l’Esprit signifie se détacher de la matière.
Ailleurs, Sohravardî écrit :
" Quand le soleil se trouva à l’équinoxe de printemps, Kay Khosrou éleva le Graal vers le soleil. Aussitôt une puissante lumière tomba sur lui et toutes les lignes et représentations du monde s’y manifestèrent. "
Et il conclut : " Quand j’entendis le maître décrire le Graal de Jam, je fus moi-même le Graal du monde, le miroir de Jam. Dans le Graal du monde, le miroir, nous vîmes en souvenir que chaque Graal est une flamme qui nous fait mourir. "